Maîtriser la procédure avec négociation Abonnés
La procédure avec négociation est la procédure formalisée par laquelle l'acheteur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques. Dans ce cadre, et à l’instar du marché à procédure adaptée, il peut mener une négociation avec les opérateurs économiques lorsque le montant du marché public est égal ou supérieur au seuil européen.
Attention : le recours à cette procédure avec négociation s’inscrit dans un cadre juridique précis qui oblige les pouvoirs adjudicateurs à motiver son choix. En revanche, les entités adjudicatrices (RTE, RFF...) peuvent librement recourir à cette procédure sans motivation préalable.
Intérêt et limite de la négociation dans les procédures d’achat
La négociation se définit comme un ensemble d’échanges entre l’acheteur public et les candidats afin de trouver la meilleure adéquation entre l’offre et les besoins exprimés. Le recours à la négociation favorise la concurrence et permet d’aboutir à la meilleure adéquation possible entre l’offre et les besoins exprimés. Pour assurer une négociation régulière et éviter tout contentieux lorsqu’il négocie, l’acheteur public doit respecter es 4 principes :
- 1/ le principe de l’intangibilité de l’offre : la négociation ne doit pas aboutir à un bouleversement de l’offre mais à un simple aménagement ;
- 2/ les principes de l’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures : l’acheteur public doit indiquer aux candidats la forme de la négociation, la durée de la négociation ainsi que les conditions de la négociation ;
- 3/ le principe de confidentialité des offres : lors de la phase de négociation, l’acheteur public ne doit pas divulguer des éléments portant sur les offres des autres candidats ;
-4/ le principe de traçabilité des procédures : l’acheteur public doit assurer la traçabilité de la négociation et être à même de justifier ses choix à tout moment.
La DAJ rappelle à juste titre « qu’une négociation ne doit, en aucun cas, se confondre avec un marchandage. Exiger de son cocontractant des rabais irréalistes sur les prix revient à exposer le marché au risque de défaillance de l’entreprise ou à celui de la passation ultérieure de coûteux avenants. La négociation requiert, de ce point de vue, une attention particulière. »
Pour négocier, l’acheteur public doit motiver sa décision et justifier son choix
Lorsque l’acheteur public ne justifie pas le recours à cette procédure spécifique, il s’expose à l’annulation de la procédure par le juge administratif. Comme le rappelle la DAJ, « le pouvoir adjudicateur doit démontrer l'existence de circonstances particulières liées à la nature du marché, à sa complexité, ou au montage juridique et financier. Ces circonstances doivent s'apprécier au regard des capacités du pouvoir adjudicateur à passer son marché selon la procédure normale d'appel d'offres ».
Dans une affaire (CE, 21/12/2022, n° 464685), les centres hospitaliers d'Ajaccio et de Bastia ont lancé, selon la procédure concurrentielle avec négociation, un appel d'offres ouvert relatif à un accord-cadre de prestations de transport aérien liées aux évacuations sanitaires de patients hospitalisés en Corse vers le continent. Le centre hospitalier d'Ajaccio informe la société Oyonnair du rejet de son offre et de l’attribution du marché à la société Altagna. Le soumissionnaire évincé réclame l'annulation de cette procédure de passation. Il avance que les motivations avancées par les centres hospitaliers pour recourir à une telle procédure n’étaient pas fondées.
Saisi, le Conseil d’Etat rappelle que « le recours à la procédure négociée est subordonné à l'existence de circonstances particulières liées à la nature du marché, à sa complexité, ou au montage juridique et financier, lesquelles doivent s'apprécier au regard des capacités du pouvoir adjudicateur à passer le marché selon la procédure normale d'appel d'offres ». Il constate « qu’en tenant compte de l'expérience acquise par [les centres hospitaliers] dans le domaine des évacuations sanitaires par voie aérienne », le juge des référés avait considéré à juste titre que le recours à la procédure avec négociation n’était pas suffisamment justifié. Le Conseil d’Etat estime, par ailleurs, que les justifications apportées par les centres hospitaliers ne permettent pas de recourir à la procédure avec négociation ; en effet, certaines particularités techniques des prestations attendues sont largement standardisées et ne permettent donc pas de caractériser une complexité justifiant le recours à la procédure négociée.
Enfin, les centres hospitaliers ont suffisamment défini les spécifications techniques en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles dans le cahier des clauses techniques particulières. Tous ces éléments ne justifient pas le recours à la procédure avec négociation.
L’acheteur public peut passer des marchés selon la procédure avec négociation dans les 6 cas suivants :
1° Lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles
Tel est le cas lorsque les travaux ne concernent pas des bâtiments standards ou lorsqu’il s’agit d’achats de fournitures et de services nécessitant des efforts d’adaptation.
Par exemple, l’acheteur public peut être amené à adapter les solutions existantes dans le cas d’acquisitions complexes - par exemple, pour acquérir des produits sophistiqués et des services intellectuels tels certains services de conseil, d’architecture ou d’ingénierie - ou dans l’hypothèse de projets majeurs relevant du domaine des technologies de l’information et de la communication.
A contrario, souligne la DAJ lorsque les travaux, produits ou services objets du marché sont disponibles immédiatement sans adaptation et peuvent être fournis par de nombreux opérateurs économiques, ils ne se prêtent pas au recours à la procédure avec négociation. Cette procédure ne peut donc pas être mise en œuvre pour des achats « sur étagère » de produits, de services ou de travaux, c’est-à-dire standardisés, non spécifiquement conçus pour les besoins d’un marché en particulier. Enfin, préciser les prestations faisant l’objet du marché sur la base de spécifications techniques n’ouvre pas droit automatiquement à la procédure concurrentielle avec négociation.
2° Lorsque le besoin consiste en une solution innovante
Rappelons que sont qualifiés d’innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en œuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques sur le lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise. La production d’un produit personnalisé dont les caractéristiques ne diffèrent pas sensiblement de ceux des produits déjà fabriqués ne constituent pas une innovation.
Pour favoriser l’innovation dans la commande publique, le Gouvernement avait créé une expérimentation de trois ans permettant aux acheteurs de passer des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable pour leurs achats innovants d’un montant inférieur à 100 000 € (décret n° 2018-1225 du 24/12/2018). Le législateur a pérennisé cette expérimentation (Décret n° 2021-1634 du 13/12/2021 relatif aux achats innovants et portant diverses autres dispositions en matière de commande publique). Ces dispositions s’appliquent également aux lots d’un montant inférieur à 80 000 € HT pour des fournitures ou des services innovants ou inférieur à 100 000 € HT pour des travaux innovants remplissant la condition prévue au b du 2° de l'article R. 2123-1 du CCP (c’est-à-dire les « petits lots).
Le CCP, et notamment son article R. 2124-3, rappellent que les achats innovants correspondent à des travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés : le caractère innovant peut consister dans la mise en œuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise.
Conseil : l’acheteur public a tout intérêt à réaliser un sourcing afin de s’assurer du caractère innovant de son achat.
3° Lorsque le marché comporte des prestations de conception
Dans ce cas, l’acheteur public peut recourir à la procédure concurrentielle avec négociation dans deux situations :
- lorsqu’il passe un marché public ayant pour unique objet des prestations de conception ;
- lorsqu’il passe un marché public ayant, entre autres, pour objet des prestations de conception.
Dans les faits, un marché de conception-réalisation, est un marché de travaux permettant à l'acheteur public de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l'établissement des études et l'exécution des travaux (art. L. 2171-2, CCP).
Attention : l’acheteur public ne peut recourir au marché de conception-réalisation, quel qu'en soit le montant, que si des motifs d'ordre technique ou un engagement contractuel portant sur l'amélioration de l'efficacité énergétique ou la construction d'un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l'association de l'entrepreneur aux études de l'ouvrage. L’acheteur public doit attribuer ce marché à un groupement d'opérateurs économiques ; néanmoins, il peut l’attribuer à un seul opérateur économique pour les ouvrages d'infrastructures.
Précision : les motifs d'ordre technique justifiant le recours à un marché de conception-réalisation sont liés à la destination ou à la mise en œuvre technique de l'ouvrage. Sont concernés, des ouvrages dont l'utilisation conditionne la conception, la réalisation et la mise en œuvre ainsi que des ouvrages dont les caractéristiques, telles que des dimensions exceptionnelles ou des difficultés techniques particulières, exigent de faire appel aux moyens et à la technicité propres des opérateurs économiques (art. R. 2171-1, CCP).
4° Lorsque le marché ne peut pas être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s'y rattachent
En effet, l’acheteur public peut être confronté à une complexité technique et être dans l’impossibilité de faire référence à des spécifications techniques en termes de fonctionnalités ou de performances. Dans ce cas, il peut recourir à la procédure concurrentielle avec négociation. Selon la DAJ, l’ampleur d’un projet ou son caractère inédit peuvent constituer des indices de complexité justifiant le recours à la procédure avec négociation (par analogie, des jurisprudences relatives au recours au dialogue compétitif : CE, 11/03/2013, Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie, n° 364551 ; CAA Paris, 3/03/2014, Association « La Justice dans la Cité », n° 13PA02769, confirmé par CE, 15/10/2014, « Association La justice dans la Cité », n° 380918).
Dans une affaire, la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que le caractère complexe de la construction d’une piscine municipale n’était pas fondé compte-tenu de la faculté dont disposait la commune d’établir des spécifications techniques en termes de fonctionnalité ou de performance, en l’absence de particularité suffisante du projet (CAA Lyon, 2/02/2014, n° 12LY02827). L’acheteur public doit donc justifier le caractère complexe du projet (CAA Lyon, 02/01/2014, n°12LY02827).
Enfin, l’acheteur public doit justifier la complexité juridique et financière du projet par l’impossibilité de définir le montage juridico-financier ; c’est le cas par exemple, de montages de grande ampleur (infrastructures routières ou ferroviaires) ou de demande de valorisation du terrain support d’un équipement public à construire.
5° Lorsque l’acheteur public n'est pas en mesure de préciser les spécifications techniques en se référant à une norme, une évaluation technique européenne, ou un référentiel technique
De telles difficultés peuvent apparaître dès le stade de l’élaboration des pièces du contrat. La DAJ rappelle que l’article 35 (I 2°) de l’ancien code des marchés publics, qui limitait le recours à la procédure avec négociation en raison des difficultés de définition des spécifications techniques aux seuls marchés de services, mentionnait à titre d’exemples les services financiers tels que les services d’assurance, bancaires et d’investissement, et les prestations intellectuelles telles que la conception d’ouvrage.
6° Lorsque, dans le cadre d'un appel d'offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées. Rappel :
- une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale (art. L. 2152-2, CCP) ;
- une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure (art. L. 2152-3, CCP).
L’acheteur public doit aussi motiver sa décision de déclaration sans suite pour cause d’infructuosité. La DAJ indique que, dans le cadre de son contrôle, le juge administratif s’assure que la première consultation a été lancée dans des conditions devant normalement assurer sa réussite (CE, 29 décembre 1997, Préfet de Seine-et-Marne, n° 160686) ou que la déclaration sans suite pour cause d’infructuosité n’est pas fondée sur des motifs étrangers aux résultats de l’appel d’offres (CE, 13 janvier 1995, Chambre de commerce et d’industrie de la Vienne, n° 68117). D’ailleurs, l’acheteur public ne doit porter aucune responsabilité dans l’échec de la procédure.
Par exemple (source DAJ) : une déclaration sans suite pour cause d’infructuosité est irrégulière et ne peut ouvrir la possibilité de recourir à la procédure avec négociation :
- lorsque le coût estimé de la prestation a été fixé de manière irréaliste par le pouvoir adjudicateur, aboutissant à l’existence d’un écart de 70 % entre l’estimation et l’offre la moins-disante (CE, 29 décembre 1997, Préfet de Seine-et-Marne, n° 160686) ou au dépôt d’offres toutes supérieures de plus de 60 % à l’estimation (CAA Versailles, 16 juin 2005, Commune de Franconville-la-Garenne, n° 02VE03350) ;
- lorsque l’imprécision du règlement de la consultation ne peut manquer de provoquer des difficultés et des erreurs d’analyse des offres, puisqu’il se borne à demander aux candidats de proposer des rabais sur les tarifs réglementaires de transport sanitaire et à fournir une estimation du montant global annuel, qui s’avère inférieure au montant facturé dans le cadre du précédent marché (CAA Bordeaux, 6 novembre 2008, Centre hospitalier Saint-Nicolas-de-Blaye, n° 07BX01245).
Attention : les modifications qu’apporte l’acheteur public aux dossiers initial ne doivent pas être substantielles. Selon la DAJ, les modifications affectant le fractionnement en tranches, les clauses de variation des prix, les délais d’exécution, les pénalités de retard, les garanties de bonne exécution ou l’introduction d’une variante non-autorisée peuvent être considérées comme substantielles.
Comment mener la négociation
L’acheteur public négocie avec les soumissionnaires les offres initiales et toutes les offres ultérieures, à l’exception des offres finales. Néanmoins, il peut attribuer le marché public sur la base des offres initiales sans négociation, mais à la condition de préciser dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt qu’il se réserve la possibilité de le faire. Lorsque l’acheteur public envisage de conclure les négociations, il en informe les soumissionnaires restant en lice et fixe une date limite commune pour la présentation d’éventuelles offres nouvelles ou révisées.
L’acheteur public peut mener une négociation sur l’ensemble des éléments suivants :
- le prix ou ses éléments : le coût d’acquisition, le coût de stockage ou de transformation, le prix des accessoires, des options, des pièces de rechange, des garanties, de l’entretien, de l’assurance, du transport…
- la quantité : la quantité nécessaire, la fréquence des commandes, la structure des remises accordées...
- la qualité : la qualité suffisante ou, au contraire, surestimée au regard des besoins, son incidence sur le prix, si le niveau de qualité demandé est modifié à la hausse ou à la baisse,
- le délai : l’acheteur public peut négocier l’incidence sur le prix des exigences en termes de délai, la part du transport et des formalités diverses...
- les garanties de bonne exécution du marché (pénalités, résiliation...).
Attention : l’acheteur public ne peut pas négocier les exigences minimales qu’il a précisées dans les documents de la consultation ainsi que les critères d'attribution. Rappelons que les documents de la consultation sont tenus d’indiquer les exigences minimales que doivent respecter les offres. A ce titre, les informations doivent être suffisamment détaillées afin de permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et la portée du marché public et de décider de participer à la procédure.
Lorsque l’acheteur public envisage de conclure les négociations, il en informe les soumissionnaires restant en lice et fixe une date limite commune pour la présentation d'éventuelles offres nouvelles ou révisées.
Attention : pendant la phase de négociation, l’acheteur public doit veiller à respecter le principe d’égalité de traitement des candidats. Ce n’est pas le cas lorsqu’il publie, peu après le début de la phase de négociation, le montant de l’offre présentée par un candidat lors d’une précédente consultation portant sur le même marché, alors que ce candidat n’a pas été informé des offres de prix présentées par les autres candidats (CAA Bordeaux, 05/11/ 2007, n° 04BX00547 ).
Sources : art. L. 2124-3, art. R. 2124-3, R. 2161-12 à R. 2161-20, CCP ; DAJ.
Olivier Mathieu le 05 juin 2023 - n°122 de La Lettre des Marchés Publics et de la commande publique
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