Comment traiter la question de la reprise de personnel dans les contrats de la commande publique ? Abonnés
Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur - par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise - tous les contrats de travail en cours subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise (art. L. 1224-1, Code du travail).
Précision : en dehors de ces situations, ce mécanisme n’est pas obligatoire. C’est le cas d’une entreprise attributaire d’un marché en lieu et place de l’ancien attributaire qui ne serait pas dans l’obligation de reprendre les contrats de travail existants.
Attention : certaines conventions collectives imposent la reprise du personnel, comme les entreprises de propreté et services associés… Dans ce cas, l’acheteur est dans l’obligation de reprendre le personnel.
Dans certains cas, l’acheteur a intérêt à imposer la reprise du personnel dans son cahier des charges. Citons le cas d’un musée qui externaliserait par marché public ses prestations de sécurité et de sûreté ; un changement du personnel imposerait une formation complète du personnel du nouveau titulaire aux contraintes particulières du monde muséal dans le domaine de la sécurité et de la sûreté des œuvres, ou encore d’un plan de sauvegarde des œuvres…
Attention : le transfert et la reprise du personnel nécessitent les accords conjoints de l’ancien et du nouveau titulaire, formalisés par la contractualisation du cahier des charges, à condition, que l’acheteur y ait indiqué ces dispositions en vertu de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Dans une affaire (CE, 01/07/2005, n° 269342), la Compagnie réunionnaise de services publics a demandé l'annulation du titre de recettes, d'un montant de 2 400 000 F (365 877 €), émis par la commune de Saint-Paul, en application des cahiers des charges d’un marché de déchets au titre duquel la société devait verser à cette commune une somme de 100 000 F (15 244 €) par agent non repris si elle n'embauchait pas, pour l'exécution de ce contrat, vingt-quatre agents parmi le personnel communal affecté à l'enlèvement des déchets ménagers. Saisi, le Conseil d’État précise que les cahiers des charges du contrat litigieux prévoyaient que la Compagnie reprendrait vingt-quatre agents du personnel communal ; toutefois, la Haute Juridiction relève que le contrat ne prévoit pas de transfert d'activité au sens du code du travail. Le Conseil d’État juge que la Compagnie réunionnaise de services publics n'ayant pas commis de faute contractuelle en n'embauchant aucun agent communal, la commune doit annuler les titres de recettes litigieux.
L’acheteur n’est pas tenu de reprendre le personnel s’il n’existe pas de transfert d’entité économique
Dans une affaire (CAA Nancy, 18/05/2022, n° 19NC01998), la commune de Schiltigheim a attribué à la société People and Baby un contrat de délégation de service public non alloti portant sur la gestion et l'exploitation de services liés à la petite enfance dans diverses structures d'accueil de la ville. Le terme de la convention était fixé au 30 octobre 2015 sans reconduction possible ni tacite, ni expresse. Le 30 décembre 2014, la commune a lancé une consultation en vue de la passation d'une nouvelle délégation de service public relative à la petite enfance, cette fois-ci divisée en trois lots. La commune a attribué le lot n° 1 portant sur les multi-accueils " Les Moussaillons " et " Les Lutins du Marais " à la société Léa et Léo et le lot n° 2 concernant le service d'accueil familial à People and Baby. La commune a déclaré sans suite la procédure de passation du lot n° 3 relatif au service " Midi Tatie ", ayant pour objet l'accueil individuel d'enfants scolarisés âgés de 3 à 6 ans sur la pause méridienne au domicile d'assistantes maternelles avec la fourniture d'un repas. People and Baby réclame l’indemnisation des préjudices résultant des fautes commises par la personne publique en déclarant l’appel d'offre concernant le lot n° 3 sans suite et en ne reprenant pas le personnel affecté au service " Midi Tatie ".
Saisie, la cour administrative d’appel de Nancy précise que « lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est reprise par une personne publique gérant un service public administratif, il appartient à cette dernière, en l'absence de dispositions législatives spécifiques, et réserve faite du cas où le transfert entraînerait un changement d'identité de l'entité transférée, soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur ancien contrat dans la mesure où des dispositions législatives ou réglementaires n'y font pas obstacle ».
Il résulte de l’instruction que bien que la commune n’ait pas supprimé le service " Midi Tatie " après le terme de la délégation de service public, elle n’a pas pour autant repris la gestion de ce service. Par conséquent, en l'absence de transfert d'une entité économique, la commune n'était pas tenue de reprendre les salariés de droit privé de la société requérante. Cette dernière ne peut pas soutenir que la commune de Schiltigheim aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
La délicate question de la communication des données relatives au personnel : de l’obligation de transparence à l’efficience de l’achat
En matière de communication, la diffusion d'informations relatives au personnel d'un délégataire s'apprécie au regard du degré de confidentialité des données, du statut public ou privé des employés concernés, du type de document, ou encore de l'objet pour lequel ce droit est invoqué. Toutefois, la CADA a considéré que l’acheteur, en qualité d’autorité concédante, doit communiquer les données sur le nombre d'agents et la masse salariale correspondante (avis n° 20064843 du 11 janvier 2007) ; il en est de même en fin de contrat pour le concessionnaire en faveur de l’autorité concédante.
Tout document produit ou reçu par un délégataire, qu'il soit une personne de droit public ou privé, dans la mesure où il est chargé d'une mission de service public, constitue un document administratif communicable (avis n° 20093856 du 19 novembre 2009).
Attention : « le droit à l'information relative aux agents publics est à distinguer de celui s'appliquant aux agents relevant du régime de droit privé. Dans le premier cas, la CADA considère que les documents relatifs à la gestion des agents publics, tels que les bulletins de paie faisant état de la situation statutaire et objective des agents, sont considérés comme des documents administratifs communicables, sous réserve toutefois de l'occultation préalable de toutes les mentions dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée de l'agent (par exemple la date et le lieu de naissance, l'adresse personnelle, la situation familiale), ainsi que celles révélant une appréciation ou un jugement de valeur concernant celui-ci » (avis n° 20110219 du 6 janvier 2011). En revanche, les données relatives à la situation d'un salarié relevant du droit privé et soumis aux dispositions du code du travail, ne sont pas considérées comme ayant un caractère administratif. L'appréciation par le juge judiciaire de leur caractère communicable se fait au regard du degré de confidentialité des informations en question, susceptible ou non de porter atteinte aux droits du salarié.
La communication de données ne doit pas violer le secret des affaires, « informations dont non seulement la divulgation au public mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l'information peut gravement léser les intérêts de celui-ci » (Tribunal de première instance des communautés européennes, 18 septembre 1996, Postbank contre Commission). Cette communication ne doit pas non plus faire obstacle aux droits des salariés au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail. Enfin, la diffusion d'information sur les salariés doit respecter le droit à la vie privée consacré par l'article 9 du code civil, « qui reconnaît à chaque personne un droit de contrôle sur les informations privées qu'elle a le droit de soustraire à la connaissance des tiers » (QE n° 03711 de M. Jean Louis Masson publiée au JO Sénat le 13/12/2012 – Réponse publiée au JO Sénat le 31/10/2013).
En cas de reprise du personnel, l’acheteur a intérêt à communiquer des informations précises aux candidats. Le Conseil d’État estime essentiel d’informer les candidats concernant la masse salariale des personnels à reprendre, afin de respecter l’égalité de traitement entre les candidats eu égard au poids des charges de personnel dans l’activité considérée (CE, 19/01/2011, n° 340773). Au-delà de la masse salariale, l’acheteur peut diffuser des éléments de rémunération, toujours dans le respect de la vie privé des agents concernés.
Conseil : l’acheteur doit prévoir des pénalités relatives à l’absence de transmission de ces informations par l’ancien titulaire ou concessionnaire, mais également en cas de transmission d’informations partielles.
Olivier Mathieu le 08 février 2024 - n°129 de La Lettre des Marchés Publics et de la commande publique
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